S’ils avaient vécu à notre époque, Louis Blériot, Clément Ader et les frères Wright dirigeraient une start-up portant sur un projet d’avion hybride ou électrique. Un siècle après avoir accouché du transport aérien, l’aviation légère et ses petits avions sont en effet redevenus le banc d’essai de l’innovation aéronautique. Ceci grâce à une nouvelle génération de “fous volants”, déterminés à devenir les premiers à faire voler des avions “verts” émettant peu ou pas du tout de CO2. Airbus a donné à cette quête du “zéro émission” un grand coup de projecteur en dévoilant trois concepts d’avions à hydrogène en septembre dernier. Mais c’est bien par l’aviation légère et ses aéronefs de 2 à 6 places qu’a véritablement débuté l’ère de l’aviation décarbonée, à travers une multitude d’initiatives le plus souvent portées par de jeunes entreprises, comme Aura Aero à Toulouse, Avions Mauboussin à Belfort ou VoltAero à Royan. Au total, plus de 300 projets ont plus ou moins pris leur envol à travers le monde, qui ont pour nom Velis, Integral-E, eflyer, Alérion, Alcyon, Cassio, Ampaire, ERA, P-Volt, ES-19… La plupart sont encore au stade du prototype ou du démonstrateur. Mais quelques- uns volent déjà quotidiennement. C’est le cas du Velis de l’avionneur slovène Pipistrel, premier avion 100 % électrique au monde à avoir obtenu, en juin 2020, la certification de l’Agence européenne de la sécurité aérienne (Aesa). Pipistrel a même décroché l’an dernier une commande de 50 exemplaires pour la société brestoise Green Aerolease, 50 engins destinés à être loués aux quelque 600 aéroclubs de France. “Le passage à la propulsion électrique a commencé pour les biplaces et va rapidement se généraliser pour les appareils de moins de 600 kg, pour lesquels la puissance des batteries actuelles est suffisante et les règles de certification, pas trop complexes”, assure Alexandre Couvelaire, exPDG d’Euralair et grand connaisseur de l’aviation légère en France. “D’ici à six ou huit ans, ce sera au tour des avions de 6 places à 20 places, qui nécessitent plus de puissance,” poursuit-il. “Pour l’heure, l’autonomie d’un avion 100 % électrique comme le Pipistrel reste limitée à 45 minutes de vol. Mais des solutions hybrides associant un ou plusieurs moteurs électriques à un moteur thermique ou un turbo générateur pour recharger les batteries permettront d’aller plus loin, avec des avions bien plus gros”. Aux Etats-Unis, le californien Ampaire en a donné un avant-goût, en effectuant plusieurs vols de démonstration de 20 minutes entre deux îles de l’archipel d’Hawaï, fin 2020, au moyen d’un Cessna 337 de quatre places. Celui-ci était doté d’un moteur électrique à l’avant et d’un moteur à pistons à l’arrière. L’appareil avait déjà volé de Los Angeles à San Francisco, avec une consommation de carburant – et des émissions de CO2 –, réduites de 50 %. En France, Aura Aero et Avions Mauboussin visent à la fois le marché des avions de tourisme et celui du transport de passagers. “Les deux programmes partagent les mêmes technologies”, explique David Gallezot, le PDG d’Avions Mauboussin, qui prévoit de faire voler un biplace hybride (électrique et kérosène) en 2023, puis une version à 5 passagers “18 à 24 mois plus tard”. “Nous pourrions également proposer une version hybride hydrogène et kérosène vers 2027”, ajoute-t-il. L’objectif est non seulement d’optimiser les investissements de R & D, mais aussi d’ajouter au marché des aéroclubs et de l’aviation privée celui de la petite aviation d’affaires et du transport régional à la demande. Deux secteurs sur lesquels les besoins de remplacement sont urgents. “L’âge moyen des avions de tourisme est de 35 ans et 80 % devront être remplacés sur les quinze prochaines années, ce qui représente un marché potentiel de plusieurs dizaines de milliers d’appareils en Europe et de plus de 100.000 aux Etats-Unis”, souligne David Gallezot.
Chez Aura Aero, on vise même encore plus gros. Après avoir lancé un premier biplace à moteur thermique (l’Integral R), la jeune pousse de Toulouse-Francazal prépare une version électrique, dont le premier vol est prévu l’an prochain. Mais aussi, dans la foulée, un avion de transport régional à propulsion électrique de 19 places. « Le premier vol est prévu fin 2024, pour une entrée en service fin 2026 », assure le PDG d’Aura Aero, Jérémy Caussade. Mais Aura Aero n’est pas le seul à s’intéresser au créneau des petits aéronefs régionaux. En France, la société VoltAero, présidée par l’ex directeur de l’innovation d’Airbus, a également fait voler un démonstrateur à propulsion hybride – le Cassio 1 – susceptible de déboucher sur une famille d’avions de transport régional de 4 à 10 places. Airbus, Daher et Safran, pour les moteurs, travaillent également depuis deux ans et en toute discrétion sur un projet de démonstrateur hybride basé sur le TBM de Daher, doté de six moteurs électriques – qui devrait faire son premier vol en 2022. Ailleurs en Europe, l’italien Tecnam, associé au motoriste britannique Rolls-Royce, et le suédois Heart Aerospace, associé à Finnair, ont également des projets d’avions de 19 places, annoncés pour 2026. Outre l’ambition de réduire les émissions de CO2 du transport aérien, le passage à la propulsion électrique ou hybride présente en effet un autre attrait fondamental : une possible réduction des coûts d’exploitation, qui permettrait d’améliorer la rentabilité des petites lignes régionales, aujourd’hui souvent négative. Surtout si la transition énergétique s’accompagne de subventions, d’un côté, et d’un renchérissement du prix du kérosène, de l’autre. « En réduisant les coûts d’exploitation qui ont conduit les compagnies à utiliser des avions de plus en plus gros, le marché des avions régionaux électriques pourrait aller bien au-delà du marché de remplacement des 19 places actuels », estime Jérémy Caussade, qui table sur un renouveau du transport aérien régional en Europe. Une récente étude européenne envisage même le remplacement progressif, au cours de la prochaine décennie, des jets régionaux de 70 à 110 sièges utilisés sur les lignes intérieures par de petits avions électriques d’une trentaine de sièges, 100 % électriques. Ce qui se traduirait à terme, par un quadruplement de la flotte régionale européenne. Une hypothèse qui pourrait devenir réalité en Scandinavie, où les gouvernements semblent décidés à accélérer la sortie du pétrole, en maniant la carotte des subventions et le bâton de l’interdiction Le Velis est le premier avion 100 % électrique certifié en Europe Ce petit biplace de 428 kg, conçu pour l’apprentissage, peut voler pendant une heure avec son unique moteur électrique, à une vitesse de croisière de 170 km/h et une altitude maximale de 3.000 mètres. Et ce pour un coût à l’heure de vol d’environ 30 euros, contre de 100 à 150 euros sur un avion à moteur thermique, sans troubler le barbecue des riverains de l’aéroport ni émettre le moindre gramme de CO2. Autant d’atouts qui lui ont valu non seulement d’être sélectionné par la Fédération française d’aéronautique, mais aussi de remporter, en 2020, une commande de 50 exemplaires en France par la société brestoise Green Aerolease. Paru dans Les Échos