Il était une fois l'IFR
Je me demande toujours pourquoi un jour l’envie m’a pris de vouloir passer une qualification IFR. Jusque-là je volais tranquillement… Avec Paul et Christian, on faisait de superbes voyages : l’Egypte, le sud algérien… avec Serge de magnifiques vols en montagne… On admirait les paysages, les côtes maritimes, la campagne française, les déserts, les îles….Bref tout allait bien…
Si c’est pour voler par beau temps et voir le paysage, le VFR est bien supérieur : on est (presque) libre de voler où l’on veut, de descendre, de monter, de tourner, de revenir, de poser les roues sur un petit terrain que l’on n’a jamais vu… tandis que l’IFR, pensez donc : on va vous expédier à 8000 pieds ou plus avec prière de rester sur votre route, de demander la permission de descendre, de monter, de changer de fréquence sans compter que, pour aller du point A au point B, la ligne droite n’est jamais, jamais, la règle.
Et dans les nuages, où est donc l’intérêt direz-vous ? On ne voit rien sauf le gris qui vous entoure, on est secoué dès que l’on a la prétention de mettre le nez dans un cumulus, on essaie de maintenir l’avion en ligne de vol tout en tentant d’obtempérer au contrôle qui adore vous faire changer de fréquence toutes les cinq minutes, puis de cap parce qu’il a du trafic et surtout, surtout, se fait un immense plaisir de vous mettre en attente sur un point imaginaire avec l’idée bien arrêtée de vous y oublier….
Bien entendu, on ne manquera pas de vous dire aussi que pour atteindre à ce bonheur suprême, vous devrez apprendre, par cœur de préférence, un tas de choses passionnantes et indispensables dont vous ne vous servirez absolument jamais.
Après quoi, bien sûr, vient la formation pratique où là, vous allez, tout comme moi, faire preuve d’une incapacité désolante à utiliser ces aiguilles qui ne sont jamais où elles devraient être et où vous pourrez enfin savoir à partir de quel moment le point de rupture de la patience de votre instructeur est atteint !
Vous hésitez ? N’hésitez plus…. mais pourquoi au fait ?
D’abord, parce que c’est un rêve et dans la vie, il ne faut jamais laisser mourir ses rêves, et parce que c’est l’occasion d’apprendre quelque chose de nouveau, de vous forcer à faire des efforts, de vous remettre en question…
Et puis, c’est la possibilité de voler sur des avions fabuleux, puissants, rapides, complexes, mais qui ne demandent qu’à se laisser dompter, pour autant que vous appreniez à être gentils avec eux et c’est la possibilité de voler dans le mauvais temps (pas trop quand même) pour rejoindre la destination fixée.
Et puis, faut-il l’avouer, il y a aussi la satisfaction de jouer dans la cour des grands. Pensez donc : on est sur les mêmes fréquences, on suit les mêmes trajectoires, on dit les mêmes phrases que les vrais pilotes !
Et c’est vrai aussi que voler dans des nuages affolés par le vent dont les couleurs et les formes varient comme sous la baguette d’un magicien est un spectacle qui ne lasse pas… Émerger de la sombre couche de nuages que l’on vient de traverser pour se retrouver brusquement dans l’infinité de l’azur est un moment de joie intense, une sorte de naissance… même si, se rapprocher du gros cumulus bourgeonnant que l’on doit traverser, vous rappellera à beaucoup de modestie et fera taire tout sentiment d’euphorie que vous pouviez avoir jusque là…
Et qui dira la sensation qu’éprouve le pilote lorsqu’après une approche et une percée un peu difficiles, il voit enfin la piste devant lui qui l’attend et l’accueille ! Il y a parfois, à ce moment là, un sentiment de bonheur et aussi de fierté d’avoir su le faire…
Et c’est vrai encore qu’il y a une certaine satisfaction intellectuelle a avoir su, au cours du vol, jouer avec tous ces écrans, ces boutons et instruments bizarres qui font tout pour vous compliquer la vie sous prétexte de la simplifier.
Et surtout, c’est tellement plus facile de voler en IFR qu’en VFR. Pas de zones à éviter, pas de carte à éplucher pour savoir si la zone est active ou non, si son plafond est de 2000 ou de 10000 pieds, pas de points d’entrée plus ou moins repérables, de cheminements laborieux bref, toute une galère qui vous dissuade souvent de vous égarer sur des terrains de quelque importance.
Et enfin, qui dira le confort et le réconfort que vous amène le fait d’être toujours en contact avec un contrôleur qui fera tout pour vous aider si nécessaire.
Essayez donc un jour…Faites un vol IFR avec un pilote qualifié pour cela et, sans doute, pour autant que la météo soit un peu difficile, reviendrez-vous avec le même sourire et le même éclat dans les yeux que Christian, un jour où l’on s’était rendu à Avignon.
Au fait les plus proches ATO, c’est à Valence et Annecy, et puis, on dit IR maintenant, parait-il.
Bons vols à tous !
René Clément
- Image crédit : Smithsonian National Air and Space Museum, Washington DC, Etats Unis
Il était une fois l'IFR
Je me demande toujours pourquoi un jour l’envie m’a pris de vouloir passer une qualification IFR. Jusque-là je volais tranquillement… Avec Paul et Christian, on faisait de superbes voyages : l’Egypte, le sud algérien… avec Serge de magnifiques vols en montagne… On admirait les paysages, les côtes maritimes, la campagne française, les déserts, les îles….Bref tout allait bien…
Si c’est pour voler par beau temps et voir le paysage, le VFR est bien supérieur : on est (presque) libre de voler où l’on veut, de descendre, de monter, de tourner, de revenir, de poser les roues sur un petit terrain que l’on n’a jamais vu… tandis que l’IFR, pensez donc : on va vous expédier à 8000 pieds ou plus avec prière de rester sur votre route, de demander la permission de descendre, de monter, de changer de fréquence sans compter que, pour aller du point A au point B, la ligne droite n’est jamais, jamais, la règle.
Et dans les nuages, où est donc l’intérêt direz-vous ? On ne voit rien sauf le gris qui vous entoure, on est secoué dès que l’on a la prétention de mettre le nez dans un cumulus, on essaie de maintenir l’avion en ligne de vol tout en tentant d’obtempérer au contrôle qui adore vous faire changer de fréquence toutes les cinq minutes, puis de cap parce qu’il a du trafic et surtout, surtout, se fait un immense plaisir de vous mettre en attente sur un point imaginaire avec l’idée bien arrêtée de vous y oublier….
Bien entendu, on ne manquera pas de vous dire aussi que pour atteindre à ce bonheur suprême, vous devrez apprendre, par cœur de préférence, un tas de choses passionnantes et indispensables dont vous ne vous servirez absolument jamais.
Après quoi, bien sûr, vient la formation pratique où là, vous allez, tout comme moi, faire preuve d’une incapacité désolante à utiliser ces aiguilles qui ne sont jamais où elles devraient être et où vous pourrez enfin savoir à partir de quel moment le point de rupture de la patience de votre instructeur est atteint !
Vous hésitez ? N’hésitez plus…. mais pourquoi au fait ?
D’abord, parce que c’est un rêve et dans la vie, il ne faut jamais laisser mourir ses rêves, et parce que c’est l’occasion d’apprendre quelque chose de nouveau, de vous forcer à faire des efforts, de vous remettre en question…
Et puis, c’est la possibilité de voler sur des avions fabuleux, puissants, rapides, complexes, mais qui ne demandent qu’à se laisser dompter, pour autant que vous appreniez à être gentils avec eux et c’est la possibilité de voler dans le mauvais temps (pas trop quand même) pour rejoindre la destination fixée.
Et puis, faut-il l’avouer, il y a aussi la satisfaction de jouer dans la cour des grands. Pensez donc : on est sur les mêmes fréquences, on suit les mêmes trajectoires, on dit les mêmes phrases que les vrais pilotes !
Et c’est vrai aussi que voler dans des nuages affolés par le vent dont les couleurs et les formes varient comme sous la baguette d’un magicien est un spectacle qui ne lasse pas… Émerger de la sombre couche de nuages que l’on vient de traverser pour se retrouver brusquement dans l’infinité de l’azur est un moment de joie intense, une sorte de naissance… même si, se rapprocher du gros cumulus bourgeonnant que l’on doit traverser, vous rappellera à beaucoup de modestie et fera taire tout sentiment d’euphorie que vous pouviez avoir jusque là…
Et qui dira la sensation qu’éprouve le pilote lorsqu’après une approche et une percée un peu difficiles, il voit enfin la piste devant lui qui l’attend et l’accueille ! Il y a parfois, à ce moment là, un sentiment de bonheur et aussi de fierté d’avoir su le faire…
Et c’est vrai encore qu’il y a une certaine satisfaction intellectuelle a avoir su, au cours du vol, jouer avec tous ces écrans, ces boutons et instruments bizarres qui font tout pour vous compliquer la vie sous prétexte de la simplifier.
Et surtout, c’est tellement plus facile de voler en IFR qu’en VFR. Pas de zones à éviter, pas de carte à éplucher pour savoir si la zone est active ou non, si son plafond est de 2000 ou de 10000 pieds, pas de points d’entrée plus ou moins repérables, de cheminements laborieux bref, toute une galère qui vous dissuade souvent de vous égarer sur des terrains de quelque importance.
Et enfin, qui dira le confort et le réconfort que vous amène le fait d’être toujours en contact avec un contrôleur qui fera tout pour vous aider si nécessaire.
Essayez donc un jour…Faites un vol IFR avec un pilote qualifié pour cela et, sans doute, pour autant que la météo soit un peu difficile, reviendrez-vous avec le même sourire et le même éclat dans les yeux que Christian, un jour où l’on s’était rendu à Avignon.
Au fait les plus proches ATO, c’est à Valence et Annecy, et puis, on dit IR maintenant, parait-il.
Bons vols à tous !
René Clément
En bonus sur la bannière de cette page, la photo du Cirrus SR22 N266CD. En 2003, N266CD était le premier avion monomoteur piston (SEP) « full glass cockpit » certifié par la FAA pour les opérations en IFR. Il est actuellement exposé au public au Smithsonian Air and Space Museum de Washington.
L'ACD à Saint-Geoirs, de 1999 à aujourd'hui
En 1999, une page additionnelle au grand livre de l'Aéro-club du Dauphiné s’est écrite avec l’absorption de l'Aéro-Club de Grenoble - Saint-Geoirs (1978-1999) qui opérait sur l'Aérodrome du même nom, LFLS, rebaptisé ensuite Grenoble-Isère, puis Grenoble-Isère-Alpes…
Rappelons que le terrain en herbe de St Geoirs, ouvert par l’État en 1939 comme terrain de secours militaire, était devenu après la Libération un petit terrain pour l'aviation légère civile. Il prend soudainement du galon à l’époque des JO d’hiver de 1968 à Grenoble (voir ci-dessus), pour devenir un grand aérodrome commercial.
Sur cette nouvelle infrastructure, les activités d'aviation légère continueront pourtant au sein de deux petits aéro-clubs : Les AILES de l’ISERE (1948-1978) et l'Aéro-Club de Voiron-Bièvre-Chartreuse (1963-1978), qui fusionneront en 1978 pour devenir l'Aéroclub de Grenoble-Saint-Geoirs, absorbé donc en 1999 par l'ACD. Événement notable, le transfert des activités de l’ ACD au nord du terrain, à coté du SEFA/ENAC, avec l’érection d’un superbe hangar, sous l’action du vice-président de l’ACD de l’époque, M.Cucherat.
Les activités d'aviation légère continueront sous cette nouvelle bannière, avec une flotte permettant école et voyages sur cette deuxième plate-forme d’opérations.
La suite : l'ACD à l'Alpe d'Huez.
Retour à Notre histoire.
L'ACD au Versoud / LFLG – de 1967 à aujourd'hui
L'ACD se transfère au Versoud avec armes, bagages, avions et planeurs tout au long de l'année 1967, mais se sépare de son atelier d’entretien et de réparation, transformé en atelier privé (ARPA).
Le vol à voile se réduit dans les premières années (les planeurs "bois et toile" sont remplacés par des "tubes et toile", Bijave puis ASK 13) et ne se développera à nouveau qu’à partir du milieu des années 70. Autre témoin d’une évolution technologique, plus rapide en vol à voile qu’en vol moteur : dès 1976 apparaissent les premiers planeurs "plastique" au fuselage et ailes en composite, tels que LS-1, ou Pégase. Autre évènement majeur, en 1991, l'ACD se sépare de son secteur vol à voile, après près d’un demi- siècle d'activité (1942-1991), ce qui donne naissance à un nouveau club, GVV–Grenoble Vol à Voile.
L'ACD se présentera un temps sous le sigle "ACD-VM". Les activités moteur reprennent leur cours : l’école sur Rallye 100cv, la montagne avec l’achat de six Piper Super Cub 95cv équipés de skis, le voyage sur Jodel, et sur les premiers Robin à train tricycle, DR-300 puis DR-400 : au fil du temps, pour les amateurs de statistiques, 28 Robin DR-400 ont fait, ou font toujours, partie de l'ACD !
Dans les années suivantes, quelques avions d'autres types viendront compléter l’éventail de vol, notamment des quadriplaces métalliques, Cessna 172, Piper PA-28, TB-9, et un bimoteur Cessna 210. Aussi, un avion de voltige, le CAP-10, quelques ULMs trois axes (le premier en 1998, reprise en 2007). Une page se tourne en mai 2016 avec le départ du dernier Rallye (le GAYO), dernière des 25 machines ayant porté les couleurs de l'ACD (du bleu depuis le début des années 2000 !). L’école s’équipe en Viktor Sportstar à glass cockpit et Robin 400-120.
Il faut signaler l’apparition de la construction composite sur Cirrus SR-20, WT-9, et DA-40, principalement à partir de 2007, donc bien après l’utilisation de ce matériau sur les planeurs. C’est aussi l’époque de la (re-)création d’un atelier d’entretien propre à l'ACD en 1992, agrandi ensuite en 2006 sous l’égide de Marc Nowotny. Au plan humain, trois chefs pilotes ont marqué le Club : Henri Giraud qui nous conduisit pendant 20 ans, avant de partir en 1970 créer son école privée de vol montagne ; Roger Bellon de 1977 à 1988 ; Serge Blanc de 1991 à 2012 suivi par Luca Fini, Étienne Rouquette, et Samuel Georges.
La suite : lACD à Saint-Geoirs, de 1999 à aujourd'hui
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Tamanrasset, février 2006
Il semble pourtant bien que tout ait commencé à Nancy... Rien, pourtant, n’incitait là-bas à la rêverie. Que ce soit les rigueurs du climat local ou les soucis professionnels du moment, tout semblait devoir anéantir les moindres velléités d’aventure et d’espace. Sombre et grise était la succession des jours que seule parfois la vue des petits avions que je pilotais venait éclairer si fugitivement.
Alors, comme souvent, j’étais venu à l’aérodrome par une belle soirée d’automne voir l’envol de ces oiseaux qui, pour quelques instants, retrouvaient la liberté des cieux avant de revenir se loger dans leur nid.
L’air et la lumière qui disparaîtraient bientôt étaient si doux que je m’attardais accoudé à une rambarde, longuement, sans raison, reculant sans doute sans cesse le moment où il faudrait retrouver les problèmes et les soucis qui m’assaillaient alors de toutes parts. Tout était vide autour de moi. Les lumières s’étaient éteintes une à une, les moteurs s’étaient tus depuis longtemps. Seul... Pourtant non, car, à quelques mètres de moi, un petit groupe qui était resté lui aussi, sans doute pour profiter de cette si douce soirée, échangeait des propos auxquels je ne prêtais guère d’attention.
Une phrase de l’un d’entre eux pourtant éveilla soudain mon attention : « ils arrivent de Tamanrasset et ils devraient atterrir dans quelques minutes» Le nom de Tamanrasset tout de suite me réveilla de la mélancolie où j’avais sombré. Vous savez ce qu’il en est de ces noms dont la consonance magique en fait des lieux merveilleux et mythiques : Samarcande, Boukhara, l’Oyapock... Tamanrasset était l’un d’entre eux, même si j’aurais été bien incapable d’en situer l’exact emplacement.
Alors, écoutant mieux, je compris que ce petit groupe attendait des amis qui, avec un petit avion, s’étaient rendus à Tamanrasset. Alors, j’attendis jusqu’au moment où un petit point lumineux commença à apparaître, pareil à une lointaine étoile qui aurait décidé de s’échapper du firmament.
Inexorablement, lentement, il s’approchait. « Ce sont eux... » prononça la même voix que j’avais entendue tout à l’heure. Et soudain, les feux de la piste s’allumèrent, créant le chemin de lumière qui devait guider l’avion jusqu’au sol.
La petite plainte des pneus qui retrouvaient le sol se fit entendre et bientôt l’avion fut devant nous.
L’instant d’après, les portes s’ouvrirent et les visages qui apparurent avaient, semble-t-il, gardé en eux la lumière du désert qu’ils avaient vu.
Alors, je sus que cette soirée sans lune était entrée en moi et que, sans fin, elle me poursuivrait pour me dire qu'à mon tour, il m'appartiendrait de voler un jour vers cet infini incertain...
Pourtant, il me fallut attendre longtemps, très longtemps. Des années, longues, très longues...
Pourtant, l’envie était toujours là tant il est vrai que certains rêves ne meurent jamais...
Le temps de la retraite était venu et Nancy abandonné depuis longtemps au profit de Grenoble où je volais avec Paul et Christian, la chance ayant voulu que l’on puisse former un équipage homogène qui, pendant vingt six ans, multiplierait des vols parfois bien improbables.
Tamanrasset et l’Algérie étaient toujours présents dans mon imaginaire. Mais si l’Algérie était toujours là, bien des choses avaient changé depuis Nancy : plus question d’y pénétrer sans une autorisation exceptionnelle du gouvernement, surtout pour aller dans ces improbables zones du grand sud. Et l’essence était indisponible partout dans les aérodromes qui jalonnaient la route envisagée. Quant aux cartes permettant le survol de ces contrées, existaient-elles quelque part ?
Et puis quand même : était-il raisonnable de se lancer dans pareil périple avec un bien petit DR 400 sans aucune possibilité d’assistance technique ni sans les merveilleux GPS qui équipent aujourd’hui nos avions et évitent, disent certains, de se perdre. Est-ce si sûr ?
Heureusement, on n’a jamais vraiment trop réfléchi à cette question car si on avait connu la suite...
A l’évidence, il fallait commencer par avoir l’autorisation des autorités algériennes. Évidemment, quand vous vous frottez à l’administration française vous savez que, même si elle n’a pas, comme l’Eglise, l’éternité devant elle, l’attente risque quand même d’être longue. Alors, du côté de l’administration algérienne on pouvait raisonnablement s’attendre au pire...
Rapidement, il apparut que cette supposition était bien en dessous de la réalité : appels téléphoniques résonnant sans doute dans l’immensité du désert, messages internet voguant dans l’éther sans espoir de rejoindre un quelconque humain...
Tamanrasset s’éloignait toujours plus profondément dans le désert qui l’entoure et seul un mirage subsistait. Pourtant, quelque part, quelqu’un veillait...
L’amie que j’avais été voir à Paris m’avait retenu à déjeuner mais en me précisant toutefois qu’un autre de ses amis serait là. La présentation fut brève : « Mohammed Amrar, ministre au sein du gouvernement algérien. » Là, les bras m’en tombèrent. Comment, cette amie que je croyais bien connaître, célibataire endurcie, enseignante convaincue, n’ayant jamais mis les pieds en Algérie, pouvait-elle connaître un ministre algérien à qui j’exposais toutes les difficultés de notre projet ?
Cette question devait rester et reste encore aujourd’hui sans réponse. Mais par contre, je fus alors certain que quelqu’un, quelque part, veillait.
Car aussitôt des portes s’ouvrirent, des rideaux se déchirèrent, des voix répondirent au téléphone et des messages qui tournaient sans fin aboutirent.
Tamanrasset semblait surgir enfin des sables et de l’oubli où il était enfoui... Jusqu’au moment suprême où, enfin, le Sésame apparut !
Venus de loin, quelques mots magiques se dessinèrent alors sur mon écran : « F-GMKJ autorisé pour le vol Annaba - Ouargla - In Salah - Djanet - Tamanrasset et retour période du premier au vingt février »
Dire avec quelle prudence j’effleurais les touches du clavier dans la crainte qu’une frappe malheureuse puisse anéantir le message serait inutile, dire avec quelle frénésie j’imprimais immédiatement de multiples copies serait confirmer l’évidence.
L’autorisation était là, l’avion réservé pour le périple, le reste n’étant plus que détails sans doute... Pourtant l’un d’eux prit bientôt une importance qu’on ne lui soupçonnait pas : l’essence !
Car aucun, aucun des aérodromes prévus ne disposait du carburant nécessaire au goût du moteur de notre avion. Le découragement, l’amertume de la défaite, l’inanité de vouloir combattre l’adversité s’abattirent à nouveau sur moi. Bien sûr, les amis ne furent pas avares de consolations : « Tu sais, c’était quand même risqué ce que vous vouliez faire. », « il y a tant d’autres endroits merveilleux où vous pouvez voler en France ! » Bien d’autres encore....
Pourtant, sans doute, la petite étoile venue de Tamanrasset qui un jour avait atterri à Nancy, veillait-elle encore...
Comment le nom de NAFTAL me parvint-il, comment une adresse internet apparut-elle, comment le nom d’Aïcha Khaled, et sa voix de magicienne dégagèrent-ils les nuages qui obscurcissaient notre projet, je suis aujourd’hui incapable de m’en souvenir. Mais ce dont je me souviens, c’est l’efficacité prodigieuse dont cette jeune femme fit preuve.
« Tu me dis sur quels aérodromes tu veux de l’essence, la date approximative de ton arrivée, la quantité que tu veux à chaque escale et je m’en occupe. Je t’envoie un RIB et tu me fais le virement. Évidemment, l’essence est un peu chère mais tu sais pour Tamanrasset et Djanet, il faut qu’on fasse venir les fûts d’essence par la route depuis Hassi Messaoud ! »
La stupeur m’avait saisi. Faire venir des fûts pour nous depuis Hassi Messaoud, c’est quand même un trajet de plusieurs centaines de kilomètres et faire un virement sans savoir si... tout ça relevait, sinon de l’inconscience, du moins d’un pari quelque peu présomptueux.
Pourtant, j’ai cédé sans réserve à cette proposition. Bien sûr, je pourrais vous dire que dans ce pays où le mâle règne sans partage, j’ai trouvé important de faire confiance à une femme. Pour être honnête, je crois plutôt que la voix enjôleuse d’Aïcha et le charme qui enveloppait chacune de ses phrases m’ont livré sans plus de réflexion.
Et puis quand même, y avait-il un autre choix ? Les cartes bien sûr ! J’allais oublier....
Là, ce fut plus simple. Seules des cartes américaines existaient. Hors de prix, bien entendu. Impressionnantes aussi : des zones entières de ces cartes ne portaient aucune indication. Ni routes, ni villages... seules quelques indications laconiques : grand erg oriental, monts du Tassili...
Inquiétant..."Euhh... Paul et Christian, vous avez vu à quoi ça ressemble là où on veut aller ?"
On s’est quand même dit qu’un petit kit désert ce serait bien : une ou deux fusées de détresse, des bandes de tissu blanc pour tracer un magnifique SOS sur le sable... Je ne suis quand même plus très certain que l’on ait pensé à l’eau ! Par contre, on a pensé au canot de sauvetage, il y avait quand même la Méditerranée à traverser. Deux fois même, si tout allait bien...
Et puis, un peu d’outillage, des fois que l’on devrait bricoler l’avion. Et dix copies au moins de l’autorisation !
Oui mais tout ça fait du poids bien sûr, surtout que Christian n'arrive pas à voyager sans son PC, des fois qu'il trouverait une borne WiFi sur l'aérodrome d'In Salah ! Donc, on a sacrifié le canot estimant que la mer n'était pas immense entre la Sardaigne et l'Algérie et que les gilets suffiraient. Bon, mais la Méditerranée, elle est à quelle température en février direz-vous ?
Car, bien sûr, il a fallu choisir la date de départ. Alors, après une étude minutieuse des données disponibles, René, dont on connaît les compétences en météo, avait conclu que février/mars était une période judicieuse. Là, il ne nous a pas fallu longtemps pour comprendre qu'il avait tout faux et que seule la période octobre-décembre présente quelques chances de succès. Notez que notre choix douteux nous a quand même valu l'admiration de plusieurs personnes sur le trajet, étonnées qu'elles étaient de nous voir faire ce vol à une date aussi peu propice. Finalement, c'est plutôt flatteur pour l'ego...
Et c’est comme ça qu’on est partis. Cannes, Figari, Annaba...; Côté contrôle, on a vite renoncé à savoir avec qui communiquer pendant la traversée : Marseille, Rome, Tunis, Alger ? On n'a toujours pas compris, et de toutes façons, assez vite, on ne reçoit plus aucun message. La mer paraît alors de plus en plus large ! Alors, direz-vous, le canot ?
Plus sérieuse a été l'arrivée à Annaba : pluie, vent, plafond minable... Puis les retrouvailles bien sûr ! "Mais vous étiez déjà passés en 2004 ? et vous allez où ? à Tamanrasset ? à cette période ? "
(René regarde ailleurs...), et c'est votre fils qui est au contrôle maintenant ?...."
Dix contrôles du passeport plus tard, on a quand même pu sortir de l'aéroport. Hôtel, restau... Bien sûr, et comme toujours, Christian a choisi le plus éloigné de l'hôtel. D'ailleurs, ça a été le risque majeur de la journée : retour de nuit par des trottoirs défoncés...
Départ pour Ghardaïa... Tout de suite on se dit qu'on aurait dû choisir entre se lever plus tôt pour partir avant le mauvais temps ou rester sous la couette pour éviter d'affronter les éléments. Christian, nostalgique du vol en montagne, pense pourtant que voir les Aurès de près, ça doit être super. Il faut lui reconnaître qu'il a conclu assez vite qu'avec ce vent et le relief, seules les turbulences étaient super !
Donc, on se calme et on s'arrête à Batna.
Comme on a du temps (l'administration de l'aéroport, pléthorique et désœuvrée, saisit l'évènement majeur que nous représentons pour se distraire un peu), on va au bureau météo où ce qui en tient lieu. Le préposé, à qui personne n'a rien dû demander depuis des mois (et pour cause : il est sourd comme un pot !) s'empare du téléphone pour demander les prévisions météo à Alger.. Le dialogue au téléphone est assez surréaliste et le niveau sonore de leur conversation frise le seuil de la douleur... On finit quand même par savoir qu'il va pleuvoir à Batna... Notez qu'en regardant par la fenêtre, on pouvait s'en douter. Mais là, au moins, c'est officiel !
Ghardaïa, le sable, les palmiers... Plus rien n’entraverait ce vol vers le sud où l’on s’enfonçait chaque jour davantage. Même l’essence était au rendez-vous des escales. Le velours de la voix d’Aicha avait opéré là-bas aussi et toutes nos craintes s’évanouissaient. On progressait toujours plus au sud dans notre bulle d’inconscience.
Ce qu'on n'avait pas prévu (vous savez pourtant combien on est organisés !) c'est qu'à Ghardaïa, comme partout en Algérie, les taxes d'atterrissage se paient exclusivement en euros ! Et, bien sûr, on n'a pas été fichus de trouver la pièce de 1€ qui nous aurait permis de repartir (on ne va quand même pas laisser un billet de 20 € !). Alors, la chasse à l'euro commence : la banque (impossible, elle a déjà arrêté sa caisse !), le musée (pourquoi pas, mais personne n'y a jamais vu un euro)... Deux heures et 20 km plus tard (heureusement on a le 4x4 du contrôle !), l'idée géniale enfin : le contrôleur a un copain qui a un billet de 10 dollars qu'on pourrait peut être changer, puis on pourrait... Par chance, on n'a pas trouvé le copain. On n'a pas payé notre euro non plus... Par contre on a pris un thé sympa avec le contrôle ...
... et on est repartis pour El Goléa.
In Salah. On aurait mieux fait de rester à Ghardaïa !
L'hôtel. Immense, vide, et un maître d'hôtel qui nous explique sans fin toutes les vertus du Coran et celles du gouvernement en place. Il faut quand même être compréhensif avec lui, il n'a pas un client tous les jours...
Avec tout ça, on ne vous parle pas beaucoup du vol. C'est simple : vous partez de A pour aller à B, vous tirez un trait entre les deux, vous affichez la balise de A et la balise de B, vous confirmez au GPS, vous montez à l’altitude qu'on vous donne et vous attendez que le temps passe en essayant de rester éveillé pendant 2, 3, 4 heures selon les cas. La radio, quand même, qui vous demande d'appeler toutes les 1⁄2 heures pour prononcer la phrase rituelle "Opérations normales". Ça les rassure... nous aussi. Un peu...
Tamanrasset enfin ! Là, c'est la ruche... des avions militaires partout et tout de suite 15 personnes autour de l'avion à se demander qui sont les inconscients venus si loin avec cet avion ridicule ! Il y a surtout 2 américains roses et blonds dont, une fois les fausses barbes enlevées, vous comprenez qu'ils sont militaires. Officiellement, pour assurer la formation de mécaniciens algériens. Dans la pratique, vous comprenez rapidement que tous ces avions militaires sont bourrés d'électronique dont l'utilisation doit avoir quelques rapports avec le fait que Tamanrasset voisine avec le Niger, le Tchad, la Libye... Au cas où on aurait eu encore quelques doutes, un avion de transport tout noir sans aucune immatriculation mais doté d'un fort accent américain se pose... Comme nous le dira plus tard un contrôleur : "Tu sais, dans cette région, on voit souvent arriver des avions sans plan de vol, sans autorisation, on sait pas d'où ils viennent ni où ils vont... bien sûr, tout de suite on appelle Alger... et la réponse est toujours la même : on est au courant, y a pas de problème, vous laissez passer et vous donnez l'essence... Alors on pose pas de question... on met l'essence et l'avion s'en va... c'est la vie...".
Djanet maintenant. Mais où sont les caravanes d’antan ?
S'il reste quelques chameaux, ils sont réservés à l'usage exclusif des touristes avides de se perdre dans l'erg Admer ou dans le Tassili n'Ajjer. Mais là, on vous conseille vraiment le séjour, et le vol entre Tamanrasset et Djanet est de toute beauté. Des dunes, le grand erg... Choisissez le soleil couchant et vous aurez le regard de ceux que j'avais rencontrés à Nancy, ceux qui revenaient d'un autre monde.
C'est pourtant là qu'on a fait notre plus grosse erreur. Christian, dont l'optimisme n'a d'égal que sa sous-estimation de l'administration algérienne, pense qu'il serait beaucoup mieux de remonter vers le nord en longeant la frontière libyenne plutôt qu'en suivant la route prévue dans notre autorisation. S’ensuit une discussion surréaliste : "Tu sais, Christian, l’autorisation est valable pour le trajet Annaba - Ouargla - In Salah - Djanet - Tamanrasset ET RETOUR. Ce qui veut dire qu’on ne peut pas faire ce que tu voudrais. On risque des problèmes avec l’administration. " Et là, se place la réponse historique de Christian : "Mais non, y’aura pas de problème ! Je les connais les algériens. D’ailleurs, j’ai fait mon service militaire en Algérie"
Cette réponse imparable s’avérant décisive, on se laisse faire d’autant plus que le contrôle de Djanet ne nous pose aucune question sur la destination annoncée : Aïn Amenas !
Malheureusement, le contrôleur d'Ain Amenas, qui ne voit pas un avion tous les jours, s'en pose un peu plus... un frileux ou un consciencieux, au choix.... "Bienvenue à Aïn Amenas les amis. Mais vous savez y’a un petit problème car je n’ai pas d’autorisation pour vous....." Là, Paul et moi avec un bel ensemble : "Bon, Christian, tu gères l’affaire maintenant puisque tu connais les algériens !"
La lourde machine administrative, un peu grippée par le sable, se met en route.
Bien entendu, le contrôleur appelle le chef qui arrive avec son escorte (gardes, 4X4 avec mitrailleuse...) depuis la ville, magnifique dans son burnous blanc. "Bienvenue à Aïn Amenas les amis. Mais, vous savez, c’est un peu ennuyeux votre affaire et il faut que j’en réfère à Alger (on s’en doutait un peu). Mais c’est jeudi soir, les bureaux sont fermés et demain c’est vendredi donc on ne peut rien faire avant samedi."
Mais il ajoute "Pas de problème, vous allez venir avec nous ; on vous mettra à l’hôtel d’Aïn Amenas et samedi matin on reviendra vous chercher."
Et c’est ainsi que l’on a visité le paradis qu'est Ain Amenas. Il faut dire qu'on est tout près de la Libye, dans une zone pétrolifère, que tout est hautement sécurisé et qu'il est hors de question de nous laisser filer sans escorte.
Ain Amenas : 50 palmiers, 300 bungalows servant de centre de repos (on n'ose pas dire de loisirs) aux pétroliers, une rue, 2 cafés, une pâtisserie ... du sable, encore du sable. Un hôtel quand même, très, très fatigué par les ans, la chaleur et les tempêtes de sable.
Vaut le détour ! C’est d’ailleurs ce qu’à dû se dire un groupe de terroristes venu de Libye qui, quelques années plus tard, s’emparera de la base en massacrant une bonne partie des résidents.
Le lendemain, tout s'arrange et l'autorisation de poursuivre vers El Oued arrive. On se casse, on se tire, on s'arrache... de peur que le contre ordre n'arrive aussi.
Ain Amenas – El Oued : 4 heures de vol, 700 km de survol du grand erg oriental ... du sable, du sable, du sable...On se dit que même avec la panoplie du naufragé du désert, la survie en cas de panne doit être très aléatoire. L'administration algérienne doit se dire la même chose qui nous fait signer une décharge comme quoi tous les éventuels frais de recherche seraient à notre charge au cas où ...
Plus de contact radio non plus, bien sûr. Juste une ou deux fois, un relais avec un avion de ligne qui, bien loin au-dessus de nous, se demande ce qu’on fait là et veut bien donner de nos nouvelles à Djanet. Une pensée pour les Mermoz, etc... qui traversaient des trucs pareils avec des moteurs infiniment moins fiables... Notez qu'on surveille quand même avec attention le bruit de notre moteur et la consommation.
El Oued fait presque figure de terre promise à l'arrivée et le trajet jusqu'à Annaba, une aimable plaisanterie... On se voit déjà à Grenoble... le délire...
Parce que le lendemain, c'est la tempête à Annaba et elle va durer près d'une semaine. Alors, on visite Annaba, les environs, les restaurants... on vient tous les jours dire bonjour à l'avion, aux contrôleurs, aux policiers... On finira même par avoir droit à des laissez passer officiels ! Inutile de dire qu'avec ça notre importance est montée de plusieurs crans auprès de tout le personnel de l'aéroport. Ça nous permettra d'ailleurs, faut-il l'avouer, d'avoir des places sur le vol régulier d'Air Algérie pour Marseille quand, de guerre lasse, et pressés par les obligations de Christian, on se résoudra à laisser notre vaillant avion sous la garde des contrôleurs...
Comme on est très consciencieux, on est quand même revenus le chercher 8 jours après. Toujours au bout de sa laisse, il nous a regardés revenir en frétillant de joie. Alors, on l'a détaché, on l'a un peu lavé, on l'a bichonné et parce qu'il était heureux de nous revoir, il s'est mis à ronronner gentiment au premier coup de démarreur.
On l'a fait rouler très doucement en lui disant des mots gentils pour le remercier et il a absolument voulu faire un passage à basse altitude tous phares allumés au-dessus de la piste en balançant les ailes pour dire adieu à ceux qui l'avaient si bien veillé et si chaleureusement accueilli... Puis, tout impatient qu'il était de retrouver les grands espaces, il est monté très haut, très haut, jusqu'à disparaître dans le bleu du ciel pour aller, bien loin de là, raconter les pays merveilleux qu'il avait vus au-delà des mers.
On dit aussi parfois, qu'après s'être posé en terre de France, un homme près de qui il s’était arrêté a lu dans les yeux des pilotes l'infini incertain d'où ils venaient, et que, longtemps, longtemps après, lui aussi...
René CLEMENT
Photos La Triade